Rencontre avec Antonin Lamazière

Un parcours à la croisée des disciplines

Antonin Lamazière incarne un profil transversal, façonné par la rencontre entre sciences fondamentales et pratiques médicales. Formé en chimie-physique théorique à Sorbonne Université, il réalise ensuite une thèse en biophysique sur des thématiques à l’interface entre chimie, biologie, physique et médecine. Après son doctorat, il reprend des études de pharmacie à l’Université Paris Cité, tout en poursuivant son activité de recherche. Cette double formation lui permet de devenir hospitalo-universitaire en biologie médicale, une position où il conjugue expertise scientifique et responsabilité clinique.
Aujourd’hui, il dirige le département de métabolomique clinique à l’hôpital Saint-Antoine, tout en pilotant une unité fonctionnelle dans le service de biologie endocrinienne et oncologique à la Pitié-Salpêtrière. Il est également co-directeur de l'UMS PASS.

La démarche scientifique : du spectre moléculaire au diagnostic

Son approche repose sur la spectrométrie de masse, technologie initialement utilisée en physique pour analyser des molécules complexes. Transposée à la biologie, cette technique permet de cartographier simultanément un grand nombre d’espèces moléculaires dans le sang, les tissus ou d’autres fluides biologiques. Contrairement aux méthodes classiques, souvent ciblées molécule par molécule, cette analyse multiplexée révèle des empreintes métaboliques globales.

Ces empreintes offrent un accès direct au phénotype biochimique du patient, c’est-à-dire à l’expression moléculaire réelle de son état de santé. Pour Antonin Lamazière, c’est une avancée décisive :

  • Elle complète l’approche génétique en apportant une vision plus directe du phénotype biochimique du patient, et donc une meilleure compréhension des symptômes cliniques ;
  • Elle ouvre la voie à des diagnostics étiologiques, capables d’identifier les causes précises des pathologies ;
  • Elle offre la possibilité d’adapter les prises en charge thérapeutiques de manière plus fine et personnalisée.

Cette démarche se situe pleinement dans la recherche translationnelle : transformer une technologie issue de la recherche fondamentale en outil opérationnel pour le soin. Pour y parvenir, il associe aux dimensions chimiques, biologiques et médicales une couche mathématique et algorithmique. Les données issues des spectromètres de masse sont ainsi traitées, modélisées et converties en scores diagnostiques certifiés, sous la forme de dispositifs médicaux numériques.

Son rôle au sein de l'unité mixte de service Production et Analyse de données en Sciences de la vie et en Santé (PASS)

Au sein de la Plateforme Post-génomique de la Pitié-Salpêtrière (P3S), Antonin Lamazière se définit comme un passeur entre chercheurs analytiques et cliniciens. Son rôle est de repositionner ces plateformes bio-analytiques – historiquement plus tournées vers la recherche fondamentale – vers des applications cliniques directes.
Partant de son expertise initiale en métabolomique, il élargit désormais, grâce aux expertises de la plateforme P3S, le champ d’exploration aux protéines (protéomique) et au séquençage ou génotypage (génomique), pour créer une vision intégrée des biomarqueurs de santé. L’objectif est de construire des profils moléculaires robustes, reproductibles à l’échelle nationale et internationale (avec des équipes au Canada), et utilisables en routine hospitalière.
Dans cette dynamique, Solenne Chardonnet et son équipe jouent un rôle clé. Responsable opérationnelle de la plateforme, elle apporte une expertise issue de la recherche fondamentale en biologie et en biochimie analytique. Avec Antonin Lamazière, ils travaillent conjointement à faire évoluer la plateforme vers des applications cliniques, tout en maintenant ses activités de recherche fondamentale, en assurant la continuité entre les savoir-faire techniques et les besoins hospitaliers. Son engagement, sa capacité à fédérer les équipes techniques et à dialoguer avec les cliniciens, en font une actrice centrale de cette transformation translationnelle.

Une vision translationnelle et multidisciplinaire

La trajectoire scientifique souhaitée par Antonin Lamazière s’articule autour de trois axes de développement :

  • Élargir le spectre d’analyse : intégrer les peptides et protéines, encore peu utilisés en diagnostic de routine, pour enrichir la palette de biomarqueurs cliniquement exploitables (collaboration Sorbonne Université avec Pr Irène Netchine et Pr Anne Bachelot).
  • Miniaturiser les prélèvements : développer des méthodes moins invasives (buvards de sang, salive, microlitres de plasma) permettant un suivi répété des patients et ouvrant de nouvelles pratiques de dépistage (collaboration Sorbonne Université avec Pr Irène Netchine et Necker avec Pr Michel Polak).
  • Analyser directement les tissus : grâce à des techniques de microdissection et d’imagerie de masse, accéder à la source des pathologies pour identifier des signatures moléculaires encore plus spécifiques (collaboration Sorbonne Université avec Pr David Buob).

À terme, il imagine une médecine où l’analyse intégrée des données génétiques, protéomiques, métabolomiques et cliniques sera associée à l’intelligence artificielle pour produire des modèles diagnostiques puissants. Ces approches nécessitent des collaborations étroites entre disciplines (chimistes, biologistes, cliniciens, mathématiciens, informaticiens), mais aussi entre institutions hospitalières et universitaires.

Un exemple particulièrement parlant est celui des explorations l’hyperplasie congénitale des surrénales, une maladie génétique rare mais fréquente parmi les maladies rares, qui touche les nouveau-nés. Cette pathologie empêche la production de certaines hormones par les glandes surrénales et peut provoquer, dès les premiers jours de vie, une déshydratation sévère et parfois fatale. Aujourd’hui, le dépistage néonatal systématique de cette pathologie repose principalement sur l’immunoanalyse, une technique performante mais sujette à de nombreux faux positifs. L’apport de la spectrométrie de masse, défendue par Antonin Lamazière et son équipe et en collaboration étroite avec les cliniciens pédiatres de l'hôpital Armand Trousseau et de l'hôpital Necker-enfants malades, permet de franchir un nouveau cap : grâce à sa capacité à distinguer et quantifier précisément les biomarqueurs en jeu, elle améliore considérablement la spécificité du diagnostic. En réduisant les erreurs et en accélérant la confirmation des cas, cette approche augmente le service médical rendu en garantissant une prise en charge rapide et adaptée par une simple supplémentation hormonale, sauvant ainsi la vie des enfants concernés. Cet exemple illustre parfaitement la valeur translationnelle de ses travaux : transformer un outil technologique en un progrès concret pour le soin.

En mobilisant une approche translationnelle et pluridisciplinaire, Antonin Lamazière œuvre à transformer les données moléculaires en véritables leviers pour un diagnostic plus précis en proposant de nouvelles sémiologies.