Vers une médecine mieux personnalisée grâce à l’IA

L’intelligence artificielle (IA) pourrait grandement améliorer le soin, notamment là où la complexité clinique dépasse l’intuition humaine. À l’Entrepôt de Données de Santé de l’AP-HP, en partenariat avec le Limics (Sorbonne Université), nous avons développé un prototype d’aide à la décision thérapeutique basé sur un concept simple mais puissant : automatiser l’analyse des dossiers médicaux pour, partant d’un patient difficile à soigner, identifier une cohorte de patients similaires. L’objectif est de mobiliser l’expérience collective des milliers de patients déjà pris en charge, pour éclairer les décisions thérapeutiques dans des cas difficiles, rares, ou atypiques. Cette approche permet aux médecins d’accéder, en temps réel, à des parcours comparables et à leurs issues cliniques.

Concrètement, notre méthode repose sur trois étapes clés :

  • l’extraction automatique d’informations médicales à partir des textes libres présents dans les dossiers (lettres de sortie, comptes rendus, etc.), à l’aide de techniques de traitement du langage naturel (NLP) ;
  • la classification sémantique des concepts extraits selon l’ontologie MeSH, pour uniformiser les données cliniques ;
  • le calcul de similarité entre patients, en s’appuyant sur des représentations vectorielles enrichies de leurs caractéristiques cliniques.

Ce travail, publié dans JMIR Medical Informatics (PMID: 36534446), a été validé sur plusieurs phénotypes complexes, notamment la néphrite lupique et l’ostéoporose secondaire. Les cohortes générées automatiquement montrent une bonne concordance avec les regroupements réalisés manuellement par des cliniciens. Ce système, encore en phase de développement, vise à s’intégrer dans les outils de travail des médecins. Il ne remplace pas leur jugement, mais leur fournit un repère précieux : “que s’est-il passé pour des patients semblables ?”, “quels traitements ont été prescrits, avec quels résultats ?”. Il est particulièrement utile dans les situations où les recommandations sont absentes ou peu spécifiques.

Comme tout outil d’IA en santé, ce prototype soulève des questions éthiques. La transparence, l’explicabilité et le contrôle médical restent au cœur de notre démarche. L’IA ne remplacera jamais l’écoute du patient, mais elle peut enrichir la décision clinique et renforcer la sécurité des soins.

Au-delà de ce travail sur les cohortes de patients similaires, nous développons également un outil de résumé automatique des documents cliniques issus du dossier patient informatisé. Ce prototype repose sur une architecture de type Retrieval-Augmented Generation (RAG) couplée à un modèle de langage de grande taille (LLM). Le système commence par interroger l’ensemble des documents du patient (comptes rendus, lettres, prescriptions, observations infirmières) afin de récupérer les passages les plus pertinents. Il en extrait ensuite des informations clés - antécédents médicaux, traitements antérieurs, niveau d’autonomie, contexte social, évolutions récentes - puis les synthétise sous la forme d’un résumé structuré, directement exploitable par le clinicien.

Ce résumé vise à répondre à une difficulté bien connue en pratique hospitalière : le manque de temps pour relire l’ensemble du parcours antérieur d’un patient complexe lors de sa (ré)admission. Le modèle est évalué par un ensemble de médecins seniors de différentes spécialités, en veillant à la finesse clinique, à l’absence d’hallucination, et à la traçabilité des sources (chaque élément résumé peut être relié à son origine dans le dossier). Ce système, pourrait devenir un véritable assistant de lecture clinique, facilitant la reprise de dossiers lourds, les transmissions interservices ou la préparation de réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP).


Dr Christel Gérardin – Médecin interniste et ingénieure, docteure en Informatique médicale, AP-HP, Limics, Sorbonne Université, Inserm