Cancer du sein : vers un dépistage personnalisé
Entretien avec la Pr Catherine Uzan.
Aujourd'hui en France, une femme sur huit risque de développer un cancer du sein au cours de sa vie. Pourtant, détecté tôt, ce cancer se guérit dans 90 % des cas.
À l'occasion d'Octobre Rose, la Pr. Catherine Uzan, cheffe du service de chirurgie et cancérologie gynécologique et mammaire de la Pitié-Salpêtrière, rappelle l’importance du dépistage et se bat pour améliorer le parcours de soin des patientes.
On parle « du » cancer du sein, mais en réalité il en existe plusieurs. Comment les classe-t-on ?
Catherine Uzan : Nous les classons en fonction de leur pronostic. Une majorité d’entre eux sont découverts assez tôt, notamment grâce au dépistage, et ont un excellent pronostic allant jusqu’à 92 % de guérison. Ce sont en général des cancers de petite taille, hormono-sensibles et sans atteinte des ganglions. D'autres, plus agressifs, peuvent évoluer plus rapidement, mais nous avons fait beaucoup de progrès dans leur prise en charge.
Quels sont les principaux facteurs de risque du cancer du sein ?
C. U. : Il existe deux types de facteurs : ceux que l’on ne peut pas maitriser comme les antécédents familiaux, la densité mammaire, l'environnement dans lequel on vit (il y a, par exemple, davantage de cancers du sein dans les pays développés que dans les pays en voie de développement), etc. Et d'autres qui sont « actionnables ». C’est le cas, par exemple, de la surcharge pondérale, du tabagisme, de l’alimentation ou de la sédentarité. Il est prouvé que pratiquer 2h30 par semaine une activité physique (qui accélère le rythme cardiaque et fait transpirer) diminue le risque d'avoir un cancer du sein et prévient le risque de récidive.
Quels sont aujourd’hui les moyens de dépistage de ce cancer ?
C. U. : Nous avons en France l’un des dépistages les mieux organisés, les plus exigeants et les plus pertinents. Proposé gratuitement tous les deux ans à toutes les femmes de 50 à 74 ans, il associe un examen clinique (palpation des seins) et une mammographie dont les images sont contrôlées par deux radiologues. Lorsqu’il est bien suivi, ce dépistage standardisé permet de découvrir des tumeurs plus petites, de proposer une prise en charge moins lourde et d’améliorer la survie des patientes.
Malgré cela, 50 % des femmes n’y participent pas, notamment par peur du surdiagnotic et du surtraitement. Il existe en effet un risque de détecter des anomalies qui se révèlent finalement bénignes ou un cancer qui n’aurait pas causé de symptôme, conduisant parfois à des biopsies ou des traitements anticancéreux non indemnes d’effets secondaires. C’est pourquoi il est important de continuer à perfectionner la qualité de l'imagerie, le niveau d'exigence du recours à la biopsie et la désescalade thérapeutique quand c’est possible. De nouveaux dépistages sanguins sont en cours d’évaluation. Mais il faut aussi continuer de rappeler que le dépistage reste aujourd’hui la meilleure arme pour améliorer la prise en charge.
Octobre Rose
Chaque année, près de 60 000 nouveaux cas de cancer du sein sont détectés et environ 12 000 femmes en meurent. Pendant un mois, associations, médecins, bénévoles se mobilisent pour informer et sensibiliser les femmes sur la meilleure arme de protection contre cette maladie : la détection précoce.
Quelles innovations avez-vous développées pour améliorer ce dépistage?
C. U. : Nous avons coordonné l’étude NOMAT01 dont l’objectif est de créer un modèle permettant, de prédire la présence d’un cancer associé en cas de lésion atypique du sein à la biopsie afin d’éviter la chirurgie chez des patientes pour lesquelles elle ne serait pas nécessaire. Nous proposons aussi de prendre en compte la tolérance des patientes à l'incertitude afin de repérer celles pour qui une simple surveillance pourrait être plus anxiogène que l’opération elle-même. Le but de ce modèle est ainsi d’identifier l’ensemble des critères cliniques, biologiques, radiologiques et psychologiques permettant de définir la stratégie thérapeutique la plus adaptée à chaque patiente.
Avec la radiologue Pr. Isabelle Thomassin, nous collaborons également à l'étude clinique internationale MyPeBS (My Personal Breast Screening). Financée par l’Union Européenne et coordonnée par le Dr Suzette Delaloge (Gustave Roussy), cette étude a pour but de comparer le dépistage standard en vigueur à un dépistage personnalisé en fonction du risque individuel de chaque femme de développer un cancer du sein. Dans ce dernier cas, les patientes, suivies pendant quatre ans, se voient proposer une stratégie différente selon leur niveau de risque : par exemple, une mammographie tous les trois ans au lieu de tous les deux ans si le risque est faible, ou au contraire, tous les ans si le risque est élevé.
En 2018, vous avez mis en place dans votre service la première consultation d'évaluation du risque dédiée au cancer du sein. Pouvez-vous nous en rappeler les objectifs ?
C. U. : Cette consultation, mise en œuvre à la Pitié-Salpêtrière sous l'égide de l'Institut universitaire en cancérologie AP–HP-Sorbonne Université, est accessible à toute femme souhaitant s'informer sur son risque de cancer de sein dès l'âge de 18 ans. Son objectif est de permettre un dépistage personnalisé selon le risque individuel en utilisant des modèles d'évaluation prenant en compte certaines caractéristiques telles que les antécédents personnels et familiaux, les facteurs génétiques, le mode de vie, l’âge des premières règles, la densité mammaire, etc. Durant la consultation, nous identifions également avec la patiente les facteurs de risque « actionnables » en lui proposant des aides personnalisées (consultation diététique, psychologique, tabacologique, etc.). Puis nous lui remettons un plan de prévention adapté incluant suivi clinique, calendrier des examens complémentaires, documents d'information, proposition de consultation oncogénétique et conseils hygiéno-diététiques.
Nous avons reçu en 2019 le prix Ruban Rose Avenir qui va nous permettre d’aller plus loin en finançant le projet AdDEPI. Dans cette étude, nous recontactons les patientes afin de voir si elles ont mis en application les mesures de prévention proposées (perte de poids, arrêt du tabac, activité physique, suivi radiologique, etc.). Nous échangerons ensuite avec elles pour voir comment obtenir une meilleure observance de ces recommandations.
L’un de vos combats est aussi de continuer à améliorer les parcours de soin et notamment l’après cancer.
C. U. : Innover en termes de parcours de soin c'est faire en sorte d'avoir un diagnostic plus juste et plus rapide, mais c’est aussi accompagner les patientes avant, pendant et après leurs traitements. Mon geste opératoire, en tant que chirurgienne, n'est qu'une partie de la prise en charge du cancer. Les infirmières de coordination et d'annonce font un travail essentiel. Le développement majeur de l'ambulatoire nécessite de donner beaucoup d’explications en amont de l’intervention. Elles sont les interlocuteurs privilégiés des patientes, leur expliquent le déroulement de la prise en charge à l’hôpital, les soins de support à domicile et les orientent vers d’autres spécialistes en fonction de leur situation (préservation de la fertilité, assistantes sociales, diététiciens, tabacologues, psychologues, etc.).
L’après cancer est aujourd’hui un chantier majeur notamment en termes de lutte contre la fatigue chronique, d’impact psychologique et de reprise d’activité. Il est en effet important de pouvoir accompagner les patientes vers un retour adapté et progressif au travail, par exemple avec un temps aménagé, plutôt que des arrêts de travail à répétition. Nous travaillons pour cela avec des associations de patients et des patients-experts.
Avec Catherine Tourette-Turgis, qui dirige l’Université des Patients, nous avons, par exemple, mis en place à Tenon et à la Pitié Salpêtrière le Café du rétablissement. Dans ce programme pilote, les patientes sont accompagnées dans leur processus de reconstruction personnelle, existentielle et professionnelle et se retrouvent entre elles pour échanger. L’hôpital se doit de donner des pistes. Mais nous ne serons jamais aussi efficaces que les patientes elles-mêmes pour répondre à des questions du quotidien, comme le prouve Mme Charlotte Pascal, actuellement en rémission, à travers son livre : Ma Meilleure amie a un cancer du sein (Flammarion), un petit guide pratique à destination des patientes et des aidants.