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Comment les médicaments de marque sont-ils nommés ?

Vous êtes-vous déjà demandé comment les industriels du médicament nomment leurs produits ? Pour répondre à cette question, Pascaline Faure, maître de conférence à la Faculté de Santé, s'est rendue à Miami au siège du Brand Institute, leader mondial dans la création d’un nom de marque. Elle y a rencontré Scott Piergrossi, Président et Directeur Créatif, le spécialiste du naming des médicaments. En effet, lui-même et l’équipe du Brand Institute sont à l’origine du nom commercial de plus de 75% des médicaments mis sur le marché chaque année.

Pourquoi faire appel à des agences de naming ?

Face au nombre exponentiel de médicaments présents sur le marché (en 2025, il en existe plus de 30 000 rien que pour les USA), trouver un nom de marque impactant est devenu un enjeu majeur pour les industriels. En outre, les autorités de santé (la FDA pour les USA, l’EMA pour l’Europe, Health Canada, entre autres) sont de plus en plus exigeantes. Le nom du nouveau médicament doit tout d’abord être distinctif afin d’éviter toute confusion avec celui d’un médicament existant. Le nom ne doit pas non plus être trop promotionnel ou exagérer l’efficacité et la sécurité du produit. Ainsi, la FDA rejette en moyenne quatre noms proposés sur 10. Et, d’après Scott Piergrossi, l’EMA devient de plus en plus plus pointilleuse, surtout en matière de proximité avec la DCI (dénomination commune internationale) et de prononciation. En effet, le nom ne doit pas être trop proche de la DCI et doit pouvoir se prononcer aisément dans toutes les langues parlées sur le continent européen, une gageure.

Qu’est-ce qu’un nom réussi ?

Pour Scott Piergrossi, un nom réussi est un nom qui fait sens, qui véhicule des concepts pertinents (par exemple, les qualités et les bénéfices du médicament, son mécanisme d’action, etc.) et qui vient souligner son caractère unique. Il doit également être facile à mémoriser (généralement entre deux et quatre syllabes) et à prononcer. Même si, aux USA, l’industriel a la charge de faire connaître la prononciation du nom de son médicament, par exemple, à travers des spots publicitaires (autorisés là-bas).
Un exemple récent de nom réussi, créé par l’équipe créative de Brand Institute, est Cobenfy, un nouveau traitement censé soulager les symptômes de la schizophrénie. Le nom indique qu’il s’agit de l’association de deux molécules (co pour combination) sous une forme posologique unique (fy pour fixed-dose). La lettre Y est souvent utilisée dans le nom des médicaments en raison de sa particularité visuelle par rapport aux autres voyelles (elle possède un jambage, la partie d’une lettre qui se prolonge sous la ligne de pied), ce qui permet de rendre le nom plus distinctif à l’écrit. De manière générale, Cobenfy est facile à prononcer et est accessible, deux qualités que la plupart des entreprises pharmaceutiques recherchent dans le nom de marque d’un nouveau médicament. Le laboratoire s’est rapidement emparé du nom et a bâti sa communication marketing autour, notamment à travers ses slogans « New Beginnings Start with Cobenfy » et « Feel the Relief ».
Un deuxième exemple de nom, que Scott Piergrossi et l’équipe de Brand Institute n’a pas créé mais qu’il considère très réussi, est Ozempic, sacré « meilleur nom de l’année 2024 » par la prestigieuse American Name Society, une société savante qui promeut l’onomastique, c’est-à-dire l’étude des noms. Selon Jenna Wise de l’agence Addison Whitney, qui a contribué à le créer, le nom Ozempic, formé de oze pour ose, synonyme de « sucre simple » (le médicament est un antidiabétique) et pic pour pick « piquer » (le médicament est injectable) a été choisi par analogie avec Olympic.
Le nom a donné des dérivés tels que Ozempic face, terme qui désigne un visage émacié (le médicament entraine une perte de poids), Ozempic Olympics (la marque a largement sponsorisé les Jeux Olympiques de Paris 2024), ou encore faux-zempic, terme qui désigne une version trafiquée du médicament. Le choix des lettres qui le composent n’est pas non plus anodin. Ainsi, d’après le chercheur Adrian Room (Dictionary of Trade Name Origins, 1982), en marketing, le O initial est censé attirer le regard vers son centre et figure l’œil humain. Le Z, lui, est bien connu des spécialistes en naming pour symboliser l’innovation scientifique et rendre le nom unique.

Le namer tient-il compte du public visé par le médicament dans le processus créatif ?

Le genre par exemple est un des aspects à prendre en compte dans la création d’un nom, confie Scott Piergrossi. Cependant, la priorité reste tout de même de créer un nom à la fois signifiant et évocateur. C’est pour cette raison que le nom de certains traitements indiqués dans le cancer du sein contiennent au contraire des consonnes sourdes telles que le T, le P et le K censées évoquer l’efficacité et la puissance (par exemple, Truqap, Piqray, Tykerb et Kisqali), ou une finale en O, généralement associée à la masculinité (par exemple, Verzenio et Phesgo).

Comment le namer tient-il compte des différentes langues ?

La FDA recommande que le nom commercial soit utilisable dans le monde entier. Si la principale langue de création reste l’anglais, tenir compte de la diversité des langues est un véritable challenge. Le Brand Institute possède une équipe de linguistes polyglottes qui s’assurent que le nom n’ait pas de connotation négative dans d’autres langues. Un bon exemple est le mot anglais mist « brume », a priori utile pour nommer un médicament sous forme d’aérosol. Malheureusement, il signifie « fumier » en allemand, ce qui le rend inutilisable.
S’agissant des langues n’utilisant pas l’alphabet latin (par exemple, le russe, le chinois ou le japonais), Scott Piergrossi précise que généralement le nom originel est traduit aussi fidèlement que possible.

Quelles sont les tendances récentes ?

Si on prend la liste des médicaments récemment approuvés par la FDA, on observe que les noms contiennent souvent des voyelles ou des consonnes doublées (par exemple, Ziihera, un anticancéreux, Rezdiffra contre une forme d’hépatite, ou Ojjaara, un médicament contre la myélofibrose), ou incluent un H silencieux (par exemple, Ohtuvayre, un médicament contre la BPCO, ou Veozah, un traitement contre les bouffées de chaleur). On trouve même parfois des parties de phrases (par exemple, Mydayis contre le TDAH, qui pourrait se traduire par « Mon jour est »). Toutes ces stratégies linguistiques visent à rendre le nom unique du moins à l’écrit, réduisant ainsi le risque de confusion et favorisant sa mémorisation. Scott Piergrossi ajoute que, compte-tenu du très grand nombre de médicaments nouveaux et anciens, le nom doit être de plus en plus remarquable chaque année.

Quelles pourraient être les futures tendances ?

Pour Scott Piergrossi, il faudrait découvrir de nouvelles suites de lettres qui sont pour l’instant sous-utilisées dans les noms de médicaments, un « espace vierge » qui pourrait déboucher sur la création de noms uniques avec de grandes chances d’être autorisés. Il suggère également d’emprunter des images à des domaines autres que la musique, très populaire ces deux dernières décennies (par exemple, Lyrica, Cymbalta, Aubagio, ou encore Intermezzo). L’univers et la nature, par exemple, pourraient être de nouvelles sources d’inspiration.

Le nom d’un médicament influence-t-il le consommateur et le prescripteur ?

Une étude scientifique vient d’être conduite en ce sens par l’Office of Prescription Drug Promotion, organe qui appartient à la FDA. Elle vise à vérifier si les noms qui donnent des informations sur l’indication du médicament influencent la perception des consommateurs et des prescripteurs.  Elle vise également à déterminer comment les noms qui exagèrent l’efficacité d’un médicament influencent le choix des consommateurs et des prescripteurs. Scott Piergrossi espère que les résultats de cette étude, qui devrait paraître incessamment, permettront d’obtenir des définitions plus précises quant à certains concepts restés flous tels que « trop prometteur » (ou ce que le FDA considère être de « la publicité mensongère »), et donneront des directives plus explicites.

Le namer s’appuie-t-il sur la recherche en linguistique ?

Les recherches menées en linguistique cognitive, un courant qui soutient que la connaissance du langage provient de son usage (par exemple, un nom de marque ne va pas forcément avoir un sens mais il va en produire un dans un contexte donné), se révèlent très utiles pour les namers, souligne Scott Piergrossi. De même, la phonosémantique, qui affirme qu’il existe un rapport motivé entre le son et le sens, est un outil précieux pour créer des noms commerciaux mémorables. Enfin, les études menées en neuroscience et notamment en neuropsychologie sur le processus de mémorisation sont particulièrement pertinentes dans le domaine du naming.

L’intelligence artificielle a-t-elle sa place dans le processus créatif ?

Selon Scott Piergrossi, l’IA est déjà utilisée dans le naming. Par sa puissance, elle permet par exemple de cribler un très grand nombre de noms afin de repérer d’éventuelles ressemblances. Le Président et Directeur Créatif ne la considère pas comme une menace mais plutôt comme une aide précieuse qui permet de gagner en rapidité et d’améliorer le rendement.

Le nom suffit-il à faire la différence ?

La sonorité du nom est primordiale mais d’autres éléments entrent en ligne de compte dans le processus créatif. Ainsi, la typographie, la couleur, et le logo sont essentiels dans la construction de l’identité du produit.
En tout état de cause, dans le domaine du médicament, les prochaines années devraient se révéler très riches tant d’un point de vue scientifique que linguistique.

Pour compléter cette lecture

“From Veronal to Quviviq: A Lexicological Analysis of Trade Names for Prescription Sleeping Pills from 1903 to 2022”

https://ans-names.pitt.edu/ans/article/view/2578


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