
Entretien avec le Pr Alexis Brice, directeur général de l’Institut du cerveau de 2012 à 2024
« J’ai voulu bâtir un Institut structuré, ambitieux et ouvert au monde »
Vous avez dirigé l’Institut du Cerveau pendant douze ans. Quelles ont été vos priorités à votre arrivée ?
Quand je suis arrivé en 2012, l’Institut était encore en phase de lancement. Les équipes s’installaient, l’enthousiasme comme les attentes étaient forts, mais il fallait structurer cet élan. Mon premier objectif a été de bâtir une organisation professionnelle, solide et lisible, au service d’une ambition scientifique de long terme. Il s’agissait de poser les fondations d’un institut capable de concilier excellence scientifique et attractivité, innovation et fonctionnement durable. Nous avons notamment œuvré à faire converger les différentes entités présentes : l’ICM en tant que fondation, l’unité mixte de recherche (UMR) avec Sorbonne Université, le CNRS, l’Inserm, en lien avec l’AP-HP, l’IHU – label obtenu dès 2012 –… C’est cette alchimie entre les acteurs qui a permis à l’Institut de devenir une organisation agile et cohérente, capable d’avancer vite.
Quelle stratégie avez-vous déployée pour faire monter en puissance l’Institut sur le plan scientifique ?
Nous avons déployé une stratégie fondée sur l’excellence de nos scientifiques et une approche résolument transversale, du plus fondamental au plus appliqué. Cette stratégie mise sur la synergie entre les disciplines, encourageant activement l’interdisciplinarité et l’exploration de voies nouvelles. L’Institut a progressivement élargi son périmètre, en attirant des talents d’exception, français et internationaux. Aujourd’hui, l’UMR compte 29 équipes. Je me réjouis tout particulièrement de la qualité des travaux de recherche, publiés dans les meilleures revues internationales, de leur reconnaissance croissante, comme en témoignent les financements européens de très haut niveau obtenus depuis la création de l’Institut, tels que les 23 bourses de l’European Research Council (ERC), ainsi que du rayonnement scientifique désormais bien établi à l’échelle mondiale.
Les plateformes technologiques ont-elles un facteur différenciant dans cette dynamique ?
Oui, c’est un levier clé de compétitivité scientifique, et l’un des paris fondateurs de l’Institut : offrir aux équipes de recherche un environnement technologique de tout premier plan – tant sur le plan de la qualité des équipements lourds que de l’expertise des ingénieurs dédiés aux plateformes technologiques-, propice à l’émergence d’innovations de rupture. Dès le départ, nous avons misé sur des plateformes mutualisées, ouvertes aux équipes internes comme aux partenaires externes. Ces infrastructures de pointe suscitent un vif intérêt, tant du monde académique que du secteur industriel, et renforcent la position de l’Institut comme un acteur de référence en matière d’expérimentation et d’innovation collaborative.
L’Institut se démarque depuis sa création par son positionnement sur l’innovation. Comment cette activité s’est-elle développée ?
L’innovation est au cœur de l’ADN de l’Institut. Dès 2012, nous avons lancé iPEPS, le premier incubateur français dédié aux neurosciences, qui a depuis accompagné plus d’une centaine de start-up, dont plusieurs ont levé des fonds significatifs et mis sur le marché des solutions innovantes.
Mais notre stratégie d’innovation va bien au-delà. Nous avons structuré une véritable chaîne de valorisation, de la détection des projets jusqu’à leur transfert vers l’industrie ou la création d’entreprise. L’Institut bénéficie depuis 2012 du label Carnot, qui reconnaît la qualité de sa recherche partenariale, et constitue un atout stratégique pour renforcer nos collaborations industrielles et soutenir l’innovation au plus près du besoin des patients. Enfin, nos infrastructures telles que le Living Lab ou NeuroTrials facilitent le développement de solutions concrètes, testées dans des conditions proches du réel, au service d’une recherche translationnelle ambitieuse et orientée vers l’impact.
Le rayonnement international a-t-il été une priorité ?
Oui, très clairement. Le cerveau est un enjeu scientifique et de santé publique mondial. Nous avons voulu inscrire l’Institut dans des dynamiques internationales structurantes. Cela s’est traduit par le recrutement de nombreux chercheurs internationaux, une participation active à des réseaux européens comme EBRAINS ou le Human Brain Project, des partenariats bilatéraux avec des centres d’excellence en Allemagne, en Amérique du Nord, en Israël… Ou encore, à l’échelle européenne, par l’engagement dans le consortium européen Cure ND, qui fédère des acteurs de référence autour des maladies neurodégénératives. Cette ouverture est une richesse, qui nourrit nos recherches, stimule l’innovation, et renforce notre attractivité.
Quel bilan personnel tirez-vous de ces douze années à la tête de l’Institut ?
J’ai eu la chance de diriger un institut en pleine construction, avec des femmes et des hommes passionnés, ambitieux et engagés. C’est donc une grande fierté collective, avant tout, une aventure humaine et scientifique exceptionnelle. Je quitte mes fonctions avec confiance : la dynamique est lancée, les bases sont solides, le modèle économique est validé, les projets pluridisciplinaires sont nombreux. Je souhaite que l’Institut du Cerveau poursuive dans cette voie d’audace, d’ouverture et d’ambition. C’est à ce prix que nous continuerons à faire progresser la connaissance sur le cerveau et les pathologies qui l’affectent, et à transformer cette connaissance en bénéfices concrets pour les patients.