
Innover pour sauver le foie : la nécroptose au cœur d'une nouvelle stratégie transplantatoire
Jérémie Gautheron, chef d'équipe dans l’unité mixte de recherche CRSA (Sorbonne Université, INSERM), s'est spécialisé dans l’étude des voies de mort cellulaire programmée, en particulier la nécroptose. Les résultats expérimentaux de son équipe montrent qu’un inhibiteur de la nécroptose permet non seulement de réduire la mort cellulaire mais également de dégraisser les hépatocytes (avec une baisse de 50 % des triglycérides en 16 heures). Ce travail a conduit au dépôt d’un brevet, non seulement sur la molécule inhibitrice mais aussi sur une machine de perfusion conçue pour réhabiliter des greffons hépatiques en vue de leur transplantation. Il a reçu le 6 février dernier l'un des trophées de la SATT Lutech concernant ce projet innovant.
Les Voies de Mort Cellulaire
Pour comprendre l'intérêt de l'approche développée par l'équipe, il est utile de distinguer deux formes principales de mort cellulaire : l'apoptose et la nécroptose. La nécroptose est une forme de nécrose programmée, à la différence de la nécrose classique qui survient après un dommage incontrôlé (par exemple, lorsqu’on reste trop longtemps pieds nus dans la neige). Dans la nécroptose, des signaux spécifiques (cytokines, facteurs cellulaires, etc.) déclenchent volontairement cette mort cellulaire, ce qui entraîne une forte réaction inflammatoire.
Chez l’embryon, la nécroptose n’est pas activée (sinon elle serait léthale), car elle est régulée par d’autres mécanismes, notamment l’apoptose. L’apoptose est également une mort cellulaire programmée, mais non inflammatoire, et elle joue un rôle essentiel dans le développement embryonnaire normal (comme la séparation des doigts in utero). En situation normale, l’apoptose empêche l’activation de la nécroptose. En revanche, dans certaines maladies, cette régulation se dérègle : l’apoptose ne contrôle plus la nécroptose, qui peut alors s’enclencher et contribuer à l’aggravation de la pathologie.
Application aux maladies hépatiques
L'équipe a montré que la stéatose hépatique (accumulation de graisse dans le foie) déclenche la nécroptose. En supprimant les médiateurs de cette mort cellulaire dans des modèles expérimentaux (souris et cellules de patients atteints de la maladie du foie gras, i.e. la MASLD), l'évolution de la maladie est stoppée. De plus, l’inhibition de la nécroptose a également permis de « dégraisser » le foie, démontrant un effet bénéfique inattendu sur la réduction de la graisse hépatique.
Applications cliniques et transplantation
En culture, l’ajout d’inhibiteurs de la nécroptose a permis de réduire de 50 % les triglycérides en 16 heures. Partant de ce constat, l’équipe s’est intéressée à la transplantation hépatique, souvent compromise par la pénurie de greffons et par la présence de foies gras (qui représentent environ 25 % des dons, actuellement jugés non transplantables). Grâce à une machine de perfusion brevetée, ces foies non utilisables peuvent être « dégraissés » via l’injection d’inhibiteurs de la nécroptose, ouvrant ainsi la voie à leur réhabilitation et à une augmentation du nombre de greffons disponibles.
Utilisation d’une machine de perfusion pour réhabiliter des foies gras en vue de leur transplantation
L'équipe récupère des foies gras, qui sont placés dans une machine de perfusion pour standardiser le protocole. L'équipe teste l'effet pharmacologique des inhibiteurs de la nécroptose sur l'ischémie-re-perfusion : lors du prélèvement, l'arrêt de la circulation provoque un choc ischémique, suivi d'un nouveau choc lors de la re-perfusion. Ces inhibiteurs permettent à la fois de dégraisser le foie et de protéger ses cellules contre la mort, réduisant ainsi les risques de lésions et de rejet post-transplantation.
Un brevet déposé, fruit d'une collaboration interdisciplinaire
Le brevet déposé porte sur l'utilisation d'inhibiteurs spécifiques pour bloquer la mort cellulaire et réduire l'accumulation de graisse dans le foie. Parallèlement, l'équipe a breveté la machine de perfusion développée par les chirurgiens de l’équipe de la Pitié-Salpêtrière (Pr Olivier Scatton et Dr Claire Goumard), permettant ainsi de reconnecter l'organe, d'amorcer l’intervention pharmacologique avant la transplantation, et d’améliorer considérablement les conditions de conservation.
Cette approche est l'aboutissement d'une collaboration pluridisciplinaire exemplaire : les chercheurs démontrent scientifiquement que leur molécule limite la mort cellulaire et dégraisse le foie, tandis que les chirurgiens mettent en œuvre son application clinique en conditions réelles.
Perspectives et prochaines étapes
Fort de ces résultats prometteurs, les prochaines étapes consistent à initier des essais cliniques pour valider l'efficacité et l'innocuité de cette approche innovante chez l'humain. Par ailleurs, l'équipe cherche activement des partenariats industriels afin d'accélérer le développement technologique de la machine de perfusion et de la molécule thérapeutique. L'objectif final : disposer d'une stratégie thérapeutique complète, capable de cibler simultanément l'accumulation de graisse et la mort cellulaire, deux facteurs clés responsables de l’évolution de la MASLD vers la stéatohépatite, et ainsi élargir le nombre de greffons transplantables pour sauver davantage de patients.
Propos de Jérémie Gautheron recueillis par Laurence Jacquenod