L'optogénétique et la sculpture de la lumière par Valentina Emiliani

La révolution de l'optogénétique a commencé par la découverte des gènes des opsines Channelrhodopsin et Halorodopsin et de leur sensibilité à la lumière, et s'est poursuivie avec la démonstration de leur expression dans les cellules neuronales. Les changements conformationnels induits par la lumière sur les opsines permettent la transduction directe des photons en courants électriques, activant ou inhibant ainsi les signaux neuronaux de manière non invasive.

Jusqu'à présent, l'optogénétique a eu deux grands champs d'application : la manipulation optique des circuits neuronaux pour établir le rôle de types de cellules spécifiques dans le contrôle de comportements ou de pathologies, et l'expression d’activateurs ou d'inhibiteurs optogénétiques dans la rétine pour la restauration de la vision. La plupart de ces expériences réalisées principalement dans des modèles murins et poisson zebra ont fait appel à des méthodes d'illumination relativement simples consistant à utiliser de la lumière visible pour éclairer de grandes parties des circuits neuronaux en utilisant des stratégies de ciblage génétique pour ‘isoler’ un type cellulaire spécifique. Cependant, l'éclairage à grand champ ne peut qu'activer de façon synchrone des populations entières de neurones, les contrôlant ainsi comme un ensemble. Toutefois, si l'on examine l'activité d'un circuit neuronal dans des conditions physiologiques, cela se caractérise dans la plupart des cas par le fait que même des cellules génétiquement identiques peuvent avoir un schéma d'activité totalement indépendant : chaque cellule du circuit a sa propre signature spatio-temporelle. Mimer l'activité neuronale avec ce degré de précision nécessite donc le développement de nouvelles méthodes optiques capables d'illuminer une ou plusieurs cellules indépendamment dans l'espace et le temps.

À cette fin, Valentina Emiliani a développé avec son équipe « Microscopie à modulation du front d’onde » des technologies originales et innovantes de « sculpture » de la lumière pour un contrôle optique précis des circuits neuronaux. La mise au point de certaines méthodes reposant sur l'holographie, le contraste de phase généralisé et la focalisation temporelle permet en effet de sculpter le volume d'excitation avec une forme parfaitement adaptée à la cible choisie : un neurone unique ou en groupe de neurones. La combinaison de ces approches baptisées "circuit optogenetics" a propulsé l'optogénétique dans une nouvelle dimension dans laquelle il est aujourd’hui possible de mimer avec la lumière des modèles d'activités cérébrales spécifiques et de les relier au comportement des animaux. Cette première étape méthodologique en neuroscience computationnelle place le laboratoire de Valentina Emiliani en toute première place au niveau international pour la manipulation optique des circuits cérébraux.

La combinaison d'approches sophistiquées de mise en forme de la lumière permet d'activer un seul neurone ou un groupe défini de neurones avec la précision d'une cellule unique à l'échelle de la milliseconde. Illustration : Emiliano Ronzitti

Les défis à venir de l’approche "circuit optogenetics" comprennent la capacité de manipuler les circuits profonds du cerveau d'un mammifère (à plusieurs millimètres de la surface du cortex), éventuellement sur plusieurs zones cérébrales, et la capacité de sonder le plus grand nombre possible de connexions (quelques centaines) d’un réseau neuronal, ou encore la capacité de combiner la manipulation optique et l’imagerie pour un control "tout optique" du cerveau. Ces défis sont le cœur du projet HOLOVIS porté par Valentina Emiliani, financé en 2020 par un ERC Advanced et dont les objectifs sont de combiner l'optogénétique avec des nouvelles formes d'illumination holographique, de concevoir de nouvelles sondes endoscopiques à guide d'ondes et des nouveaux algorithmes de « compressed sensing », et de développer de nouveaux lasers. Cette combinaison d'approches sera utilisée pour étudier, avec une précision sans précédent, des circuits neuronaux essentiels à la perception visuelle.

Les travaux de Valentina Emiliani sont à l’interface de plusieurs disciplines dont l’optique et les neurosciences. Valentina Emiliani s’est entourée d’une équipe interdisciplinaire d’environ 20 personnes aux compétences complémentaires en physique, informatique et neurophysiologie. Le caractère fortement interdisciplinaire de l’équipe lui a permis de s’appuyer sur de nouveaux concepts en optique pour développer de nouvelles méthodes tout d’abord validées in vivo dans des modèles biologiques, comme le cerveau et la rétine de la souris ou du poisson zèbre, puis appliquées à des projets de biologie en collaboration avec plusieurs groupes de neurobiologistes.

Ses travaux de recherche ont été récompensés par plusieurs prix dont la médaille d’argent du CNRS en 2021 et tout récemment le prix Maxime Dahan pour l’Instrumentation et les Méthodes Innovantes à l’Interface Physique-Biologie-Médecine et le Michael S. Feld Biophotonics Award en 2022.