Un chercheur à la rencontre du monde du silence

Depuis 2022, Sébastien Dussaud, bio informaticien à la Faculté de Santé de Sorbonne Université, participe à des compétitions d’apnée en piscine. Après une 8ᵉ place aux championnats de France en 2022 (166 m), il atteint en 2024 le cap symbolique des 200 mètres.

La saison 2024-2025 débute fort avec 193 m en compétition officielle. Il se place 3ᵉ du classement national ce qui lui permet d’intégrer l’équipe de France AIDA et de se qualifier pour les championnats du monde au Japon (Wakayama, en juin 2025).

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai un parcours assez atypique, aussi bien en apnée qu’en sciences. J’ai d’abord fait une école d’ingénieur, puis un doctorat, je suis donc ingénieur de recherche. Au départ, je travaillais surtout en biologie moléculaire, notamment en transgénèse, sur des sujets liés à l’animal. Récemment, je me suis spécialisé en bio-informatique grâce à un diplôme universitaire. Je travaille au sein de l’unité de recherche 1269-ICAN.

Depuis combien de temps pratiquez-vous l’apnée ?
J'ai toujours été attiré par l'eau. Depuis tout petit, j'ai pratiqué intensément la plongée bouteille. Je suis d'ailleurs moniteur de plongée. Et plus récemment - depuis trois ou quatre ans seulement - je me suis lancé dans l'apnée à haut niveau.
C’est un sport encore peu connu, même s’il évoque souvent Le Grand Bleu. Et justement, je fais partie de cette génération-là, celle qui a grandi avec ce film, donc forcément, ça m’a marqué.
Quand j’étais enfant, mes parents étaient réticents car ils trouvaient cela trop dangereux. À l’époque, l’encadrement était bien moins développé qu’aujourd’hui.
Et pourtant, l'apnée est en réalité moins risquée que la plongée bouteille. Il y a beaucoup moins d’accidents. La plongée bouteille, elle, enregistre chaque année des centaines d’incidents, notamment à cause de la décompression. Beaucoup de pratiquants sont plus âgés, parfois moins en forme, ce qui augmente les risques.

Quelles sont les grandes différences entre la plongée en bouteille et la plongée en apnée ?
En plongée bouteille, l'air qu'on respire contient de l’azote qui, sous pression, se dissout dans le sang. Si on remonte trop vite, il forme des bulles dangereuses : d'où les paliers de décompression. En apnée, il n’y a pas ce risque puisqu’on ne respire pas d’air comprimé.
J’ai presque atteint les 100 mètres en apnée, ce qui est très rare. La descente doit être rapide, mais le plus difficile, c’est de compenser la pression sur les oreilles. À partir de 30 mètres, l’air des poumons ne suffit plus : on utilise une technique appelée mouthfill, en stockant de l’air dans la bouche pour le garder jusqu’en bas.
À 100 mètres, la pression est immense : 11 kg par cm². Les poumons sont réduits à la taille d’une orange. Il faut être très souple, d’où l’importance de l’entraînement mental, du yoga, de la visualisation. L’apnée, c’est avant tout un travail intérieur.

Existe-t-il plusieurs disciplines en apnée ?
En apnée profonde, il existe quatre disciplines : avec mono palme, bi-palmes, en tirant sur un câble ou à la brasse (la plus difficile car très physique). Un câble guide la descente et sert de sécurité. À partir de 20-25 mètres, on entre en chute libre : les poumons comprimés nous font couler sans effort. C’est grisant mais il faut maîtriser la compensation des oreilles.
La remontée est la phase la plus difficile car on est très lourd au fond. On peut aussi subir la narcose (effet de l’azote) qui altère la lucidité. Le cœur ralentit naturellement (bradycardie) jusqu’à 25-30 battements/minute, pour économiser l’oxygène comme chez les mammifères marins.
Un mécanisme appelé blood shift permet au sang de remplir l’espace laissé par les poumons compressés, évitant l’écrasement mais cela peut provoquer des œdèmes pulmonaires si la remontée est trop rapide. C’est pourquoi on limite les plongées profondes à une seule par jour au-delà de 70 mètres.

Pourriez vous nous raconter une rencontre qui vous a marqué ?
J’adore les requins et j’ai souvent plongé avec eux, notamment en apnée aux Maldives. Contrairement aux idées reçues, ils ne sont pas dangereux par nature. La peur vient surtout du film Les Dents de la mer. En réalité, les requins fuient l’homme, sauf en cas de surprise, de peur ou de famine extrême. Les rares attaques sont souvent des erreurs : un surfeur vu du dessous ressemble à une tortue. Ils mordent, réalisent leur erreur, puis lâchent, mais les dégâts peuvent être graves. La plupart du temps, il ne s’agit donc pas d’attaques intentionnelles. Je suis aussi engagé dans l’association Sea Shepherd pour leur protection.
J’ai aussi croisé des baleines, même en Méditerranée, et des dauphins, comme à Nice lors d’une compétition : un dauphin a accompagné un apnéiste pendant toute sa descente, comme un compagnon de plongée. C’était impressionnant et touchant.
Moins rassurant : à Toulon, où je m'entraîne, on entend parfois les sondeurs de sous-marins militaires. Le son est très amplifié sous l’eau et donne l’impression qu’ils sont tout proches, ce qui est angoissant, surtout avec les effets de la narcose. Même si le risque est faible, ces sons restent très perturbants.

Vous êtes qualifié pour les championnats de France qui se déroulent le 28 mai. À à chaque descente vous devez fermer les yeux, quelle impressions avez-vous ?
Plonger en apnée, c’est aussi une forme d’introspection sensorielle. Sous l’eau, la visibilité est floue, on perçoit surtout des formes et des sensations. Une expérience marquante fut celle d’un banc de méduses : des milliers d’entre elles flottaient autour de nous, effleurant la peau. Même si seules leurs tentacules sont urticantes, certaines espèces méditerranéennes provoquent de vives brûlures même à travers une combinaison.
Le réchauffement climatique accentue leur présence, tout comme celle de poissons tropicaux et d’algues envahissantes, révélant un bouleversement écologique visible sous la surface.
Aujourd’hui, je revisite des épaves méditerranéennes autrefois explorées en plongée bouteille mais désormais accessibles en apnée même jusqu’à 60 mètres. L’une de mes ambitions est de réaliser un shooting sur l’épave d’un avion coulé, intact et posé sur le sable près de Cavalaire. Ce type de projet demande une grande coordination avec le photographe en bouteille car le timing au fond est extrêmement serré.


En savoir plus : https://sebastiendussaud.ddns.net

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