Christine Katlama
Co-découvreuse du VIH-2
Je milite pour que le dépistage devienne un réflexe pour tous et que cette infection cesse d’être une maladie du silence.
En 2019, près de 38 millions de personnes dans le monde vivent avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) à l’origine du sida. Si cette infection ne peut être éradiquée, le traitement antirétroviral permet désormais de la contrôler efficacement. Co-découvreuse du VIH-2, Christine Katlama milite pour que le dépistage devienne un réflexe pour tous et que cette infection cesse d’être « une maladie du silence ». Professeure à Sorbonne Université et praticienne hospitalière responsable de l’unité de prise en charge ambulatoire dans le service des maladies infectieuses de la Pitié-Salpêtrière, elle fait le point sur les avancées thérapeutiques et les différentes approches préventives et curatives qui permettent de réduire les risques de transmission du virus.
Selon les chiffres du baromètre Ifop pour Sidaction parus en 2019, 21% des jeunes adultes déclarent ne pas avoir peur du VIH. Que leur répondez-vous ?
Christine Katlama : Depuis 1996, la thérapie antirétrovirale a permis de maîtriser le VIH et les personnes touchées par le virus peuvent désormais mener une vie normale. Le traitement pris quotidiennement fait disparaître le virus du sang et des sécrétions génitales et empêche le sida de se déclarer.
VIH OU SIDA ?
VIH et sida ne sont pas synonymes. Le VIH désigne le virus de l’immunodéficience humaine qui cause le sida ou syndrome d’immunodéficience acquise. Un syndrome qui attaque les lymphocytes CD4, augmentant les probabilités de développer des infections opportunistes ou certains cancers. En l’absence de traitement, la majorité des personnes infectées par le VIH développerait le sida après cinq ou dix ans d’infection, voire plus. Aujourd’hui, grâce aux traitements, l’évolution vers le stade sida a quasiment disparu en France, même si encore trop de patients sont diagnostiqués à ce stade.
Donc si les jeunes ont raison de ne plus craindre le VIH en tant que tel, ils doivent en revanche avoir peur de ne pas connaitre leur statut et de ne pas être dépisté. Car vivre normalement avec le virus n’est possible qu’à condition d'être traité efficacement, ce qui implique d’être détecté le plus tôt possible. Sans traitement, le VIH reste mortel.
Vivre responsable, c’est connaître son statut infectieux et vaccinal vis-à-vis du VIH mais aussi des hépatites A, B, C, etc. Les jeunes ont besoin d’être informés de tous les moyens à leur disposition pour se protéger et protéger les autres, comme par exemple la nécessité de se faire vacciner contre l’hépatite A et B et le papillomavirus.
L’objectif de l’ONUSIDA était d’arriver, à l’horizon 2020, à ce que 90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, à ce que 90% des personnes infectées reçoivent un traitement antirétroviral et que 90% des personnes recevant ce traitement aient une charge virale durablement supprimée. À la veille de l’année 2020, où en est-on de ces objectifs ?
C. K. : Ce slogan 90-90-90 permet de donner une feuille de route au niveau mondial. Et ceci est fondamental. En 2018, on estimait à 37,9 millions le nombre de personnes infectées par le VIH. Parmi elles, 79% connaissaient leur statut sérologique, 62% avaient accès au traitement et 53 % avaient une charge virale contrôlée. Si ces chiffres sont encourageants, ils sont encore notoirement insuffisants pour contrôler l'épidémie.
Et pourtant cette épidémie pourrait être maîtrisée et le VIH disparaître, si toutes les personnes infectées avaient une charge virale contrôlée et ce grâce au traitement antirétroviral. Car, contrairement à de nombreux autres virus, le VIH n’a pas d’autres sources que la transmission humaine.
INDÉTECTABLE = INTRANSMISSIBLE
La charge virale est la quantité de virus détecté sous forme réplicative dans le sang. Quand un traitement est efficace et suivi quotidiennement, le VIH ne se multiplie plus dans le sang des personnes vivant avec le virus. C’est ce qu’on appelle avoir une charge virale « indétectable » même si le virus est toujours présent dans l’organisme, dans certains organes appelés « réservoirs ». Etre indétectable durablement quand on est séropositif pour le VIH signifie que l’on ne transmet plus le virus.
En France le délai moyen entre l’infection et la découverte du virus pour un malade est de 5 ans. Comment se fait-il que ce délai soit si long ?
C. K. : Il n’y a aucun signe, aucun symptôme qui signale que l’on est infecté avant plusieurs années. Lorsqu’il pénètre dans l'organisme, le virus donne au maximum une pseudo-grippe, un petit épisode viral. Les premiers signes du sida apparaissent au bout de 5 à 10 ans. Il n’y a donc que le dépistage qui permet de détecter la présence du VIH avant que le sida ne se déclare.
Que risque-t-on à se faire dépister trop tardivement ?
C. K. : Chaque jour compte car chez une personne non traitée, le virus se multiplie à raison d’un à dix milliards de particules par jour. Agir contre le VIH à un stade tardif, c’est comme soigner un cancer déjà avancé. Le pronostic est moins bon, avec la perte de certaines fonctions immunitaires et donc un risque plus élevé de développer à terme d’autres maladies.
Où faire un test ?
- se rendre au centre de santé étudiant situé au 15 rue de l’Ecole de Médecine 75006 Paris
- en parler à son médecin traitant qui prescrira un test remboursé par la sécurité sociale
- se rendre dans un centre de dépistage (Cegidd) pour réaliser un test gratuit ou tout centre de maladies infectieuses
- se rendre dans un laboratoire d’analyses médicales (où le test n’est pas remboursé en l’absence d’ordonnance)
- acheter un autotest en pharmacie ou s’en procurer dans un Cegidd
- faire un test rapide (TROD) dans le cadre d’actions associatives de dépistage dans les espaces publics.
Pour tous ces tests, un délai s’impose après la prise de risque : 3 à 4 semaines pour les tests faits à l’hôpital ou en laboratoire, 4 à 6 semaines pour les tests rapides et les autotests.
De quels traitements préventifs dispose-t-on aujourd’hui ?
C. K. : En parallèle de ce traitement curatif, il existe des traitements préventifs dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Destinée aux personnes séronégatives fortement exposée au VIH, la PrEP (prophylaxie pré-exposition) combine deux antirétroviraux en un seul comprimé. Prescrite par un médecin spécialisé, elle doit être prise avant l’exposition au VIH. Dans les villes où la PrEP est très utilisée, comme à San Francisco, les chercheurs ont constaté une chute des nouvelles infections.
Pour les personnes séronégatives qui ont été exposées au VIH, il existe une trithérapie post-exposition. Disponible gratuitement dans tous les services d’urgence des hôpitaux, ce traitement doit être pris au plus tard dans les 48 heures après l’exposition et poursuivi pendant un mois pour éviter la contamination.
Le préservatif reste toujours le moyen le moins cher et le plus facile d’accès pour se protéger du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles.
Les chiffres 2018 selon l’ONUSIDA
- 37,9 millions de personnes vivaient avec le VIH
- 23,3 millions de personnes avaient accès à la thérapie antirétrovirale
- 1,7 million nouvelles infections par le VIH
- 770 000 de personnes sont décédées de maladies liées au sida
Le VIH a été isolé en 1983. Pourquoi est-il toujours si difficile à vaincre ?
C. K. : Si nous savons empêcher la multiplication du virus, nous ne savons pas encore comment l’éliminer de l’organisme. En seulement quelques jours après la contamination, il s'intègre dans le génome des cellules de l’immunité et devient indétectable pour le système immunitaire. Silencieux, il agit comme un "cheval de Troie", verrouillant tous les moyens de défense de la cellule.
Par ailleurs, le VIH fait preuve d’une grande variabilité génétique. Chez un individu infecté, il n’y a pas une seule population composée du même virus, mais des milliers de virus, tous un peu différents. Cela lui permet d’échapper à toute défense immunitaire qui lui est opposée.
C’est un virus très réactif qui change constamment de structure ce qui rend les attaques des anticorps inefficaces. Le système immunitaire a sans cesse affaire à un "nouveau" virus contre lequel il n'a aucune expérience.
Au sein de la Pitié-Salpêtrière, vous développez des stratégies thérapeutiques allégées. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C. K. : Depuis vingt ans, la recherche a permis de contrôler le virus avec des molécules mieux tolérées, plus faciles à prendre et moins coûteuses. Grâce à la thérapie antirétrovirale, le VIH est devenu une infection chronique, mais qui nécessite un traitement à vie pour ne pas redevenir une infection mortelle.
Par ailleurs, même contrôlé le virus en sourdine engendre une inflammation chronique qui a des conséquences : cancers, manifestations vasculaires, cardiaques, cérébrales, métaboliques, etc. Certaines d’entre elles sont aussi favorisées par les traitements. Pour s’inscrire dans la durée et minimiser la toxicité des molécules d’un traitement qui va durer des décennies, la recherche clinique – dont nos travaux depuis plus de 10 ans – cherche à identifier des stratégies de traitement tout aussi efficaces mais allégées. Nous avons publié plusieurs études qui montrent, avec d’autres, qu’une bithérapie adaptée est aussi efficace qu’une trithérapie pour les patients. Les nouvelles recommandations européennes auxquelles j’ai participé vont dans ce sens.
Bien sûr l’allégement des stratégies thérapeutiques n’est pas notre seul axe de recherche. Nous participons à de nombreuses autres études cliniques. Avec 500 patients, nous sommes par exemple le deuxième centre recruteur de l’étude Prévenir qui cherche à évaluer l’impact de la mise en place de la PrEp en Ile-de-France.
La transmission des savoirs et des savoir-faire est également un aspect qui m’a toujours tenu à cœur. Notre équipe a développé de nombreuses collaborations à l'international. Nous avons par exemple créé un programme de formation pour les équipes médicales du centre hospitalier de Bamako qui accueille plus de 6500 patients VIH.
Engagée à l’international, Christine Katlama a fondé en 2009 l’Alliance Francophone des Acteurs de Santé contre le VIH et les infections virales chroniques (AFRAVIH). Cette alliance a pour ambition de renforcer la mobilisation des acteurs francophones de l’action internationale de lutte contre le VIH et les hépatites. Pour diffuser les bonnes pratiques de prise en charge et l’expertise scientifique, l’AFRAVIH organise une conférence internationale en langue française tous les deux ans, ainsi que des conférences régionales thématiques et des formations spécifiques dans le champ médical et psychosocial. Elle met également en place une formation à la recherche clinique spécifiquement dédié aux cliniciens des pays d’Afrique de l’Ouest.
La prochaine conférence internationale se tiendra à Dakar en avril 2020.
Quels sont vos espoirs pour les dix prochaines années ?
C. K. : Je mets beaucoup d'espoir dans les anticorps monoclonaux neutralisants à large spectre, des anticorps capables de combattre de nombreuses souches du VIH et d’éviter la destruction des cellules de l’immunité. Des essais chez l’animal ont montré que l’injection de ces anticorps diminuait considérablement la charge virale et les essais chez l’homme sont très encourageants. Mais de nombreuses étapes doivent encore être franchies pour développer un vaccin capable d’induire la production de ces anticorps par les propres cellules du patient.
Je suis convaincue que dans les prochaines années les traitements vont évoluer vers des molécules injectables longue durée. Cela permettrait de passer de prises de médicaments quotidiennes à des injections tous les 3 ou 6 mois moins lourdes pour les patients et de diminuer le risque d’oubli.
Enfin, j’espère qu’il sera bientôt impossible de ne pas connaître ce qu’est le VIH, comment il se transmet, les moyens de s’en protéger, les lieux pour se faire dépister, les traitements possibles. Plus il y aura de personnes informées et testées, plus les personnes infectées seront traitées, moins le VIH sera discriminant et plus nous serons proches du but : faire disparaître cette épidémie. Près de 40 ans après sa découverte, le VIH ne doit plus être l’infection du silence, du tabou et de la discrimination. Une société libre, moderne et responsable en matière de santé sexuelle ne doit plus craindre d’en parler.