Hugo Bottemanne

Hugo Bottemanne

Philosophe et clinicien de l'esprit

Philosophie et psychiatrie s’enrichissent mutuellement lorsqu’elles dialoguent.

À la croisée du soin, de la recherche et de l'enseignement, le psychiatre Hugo Bottemanne abolit les frontières entre les disciplines scientifiques, littéraires et médicales autour des sciences de l’esprit.

C’est entre les murs chargés d’histoire du pavillon de la Force qu’exerce le jeune psychiatre et chef de clinique Hugo Bottemanne. Les nombreuses créations artistiques qui ornent aujourd’hui le service de psychiatrie de la Pitié-Salpêtrière semblent avoir effacé le lourd passé de cette ancienne prison pour femmes désormais lieu de soin et de recherche.

À 31 ans, Hugo Bottemanne poursuit son rêve d’enfant : comprendre l’origine de nos états mentaux comme les croyances, les perceptions et les émotions. « Je suis tombé amoureux de la psychiatrie lorsque j’avais douze ans en découvrant qu’on pouvait explorer les mystères de l’esprit », se souvient-il. Adolescent, il dévore les livres de philosophie et de psychanalyse, une façon de répondre à ces questions fondamentales. Devenir psychiatre est pour lui une évidence. « Il y a bien d'autres façons d’aborder la question de l’esprit : la philosophie, la psychologie, les neurosciences, explique-t-il. Mais la psychiatrie me semblait allier, dans le rapport à l’autre, la compréhension théorique et l’ancrage dans le réel au service de la santé mentale. »

Faire dialoguer philosophie et psychiatrie

Déçu par le bachotage inhérent aux études de médecine, il débute en parallèle un cursus de philosophie à la faculté des Lettres de Sorbonne Université et rencontre la philosophe Anouk Barberousse qui devient sa directrice de recherche. « Elle m’a guidé au travers de tout mon cursus avec une grande douceur, précise-t-il, m’ouvrant les yeux sur des dimensions insoupçonnées de ma pratique clinique et impactant en profondeur le médecin que je suis devenu. » Un parcours exigeant qui lui impose une discipline de vie au cours duquel il découvre la philosophie de l’esprit, un domaine au carrefour des sciences cognitives et de la philosophie. Une révélation « venant répondre aux questions qui [l]e hantaient depuis l’enfance. »

Pendant son cursus, il s’intéresse à la théorie du cerveau bayésien, une conception innovante selon laquelle notre cerveau utilise des croyances probabilistes définies comme des estimations statistiques pour traiter les informations sensorielles et décider des actions à réaliser. « Cette théorie qui fait du cerveau une machine à prédire remet en cause nombre de positions métaphysiques sur la perception, l’action, les affects, et les croyances », indique-t-il. Elle bouscule également nos représentations des troubles psychiatriques, abrasant la frontière entre le normal et le pathologique en psychologie. Elle est à l’origine d’une véritable rupture épistémologique. »

Lors de son premier stage d’internat à la Pitié-Salpêtrière, il rencontre le Pr. Philippe Fossati, chef de service de psychiatrie, avec qui il fait sa thèse de médecine à l’Institut du Cerveau. « Il m'a permis de mettre en musique, sur le plan expérimental et clinique, le travail conceptuel qui s’était tissé avec la philosophie de l’esprit. Pendant trois ans, nous avons exploré les effets des mécanismes associés à la génération et à l’évolution des croyances, en particulier chez les patients souffrant de dépression sévère. » Dans le service du Pr. Fossati, il se spécialise dans la dépression, et étudie notamment l’effet de la kétamine, un traitement d’action rapide, sur les croyances négatives des patients ayant une dépression résistante aux traitements.

Humaniste moderne, le jeune psychiatre complète sa thèse de médecine soutenue en 2019 par un doctorat en philosophie et en sciences cognitives en codirection avec ses deux mentors, la philosophe Anouk Barberousse et le psychiatre Philippe Fossati. Un travail translationnel à la frontière de deux disciplines « qui s’enrichissent mutuellement lorsqu’elles dialoguent », soutient-il. S’appuyant sur les fondements philosophiques et scientifiques de la théorie du cerveau bayésien, son travail explore l’origine du contenu des croyances ou encore ce qui détermine la valence affective d’une expérience (son caractère agréable ou désagréable), en mobilisant notamment le concept d’intéroception. « Ce concept, qui a révolutionné la compréhension des émotions, désigne la façon dont le cerveau prédit et interprète les signaux qui viennent du corps, comme les battements du cœur ou la motilité viscérale ». L'intéroception pourrait, selon le chercheur, constituer une clef pour comprendre les troubles de l’humeur.

L’enseignement, fruit de la clinique et de la recherche

Pendant son clinicat, il rencontre la psychiatre Lucie Joly, spécialisée en psychiatrie périnatale. Avec elle, il s’investit dans la prise en charge de la dépression périnatale, un trouble de l’humeur survenant chez environ 10 à 20% des femmes dans l’année qui suit l’accouchement. Dans leur livre Dans le cerveau des mamans publié en septembre dernier, ils mettent à profit les recherches sur le cerveau bayésien pour mieux comprendre comment la communication entre corps et cerveau détermine l’expérience maternelle pendant la grossesse, et provoque des phénomènes mystérieux comme la dépression du postpartum, le déni de grossesse ou la grossesse fantôme. « La psychiatrie périnatale est très centrée sur le nourrisson, souligne le chercheur. Nous voulions remettre l’accent sur l’impact des modifications cérébrales chez la mère pendant la grossesse et les premiers mois de la maternité, en nous intéressant particulièrement aux mécanismes prédictifs impliqués dans l’intéroception maternelle. »

Le jeune chercheur et clinicien s’investit également dans l’enseignement au sein de Sorbonne Université, participant à la formation en psychiatrie des étudiantes et étudiants de médecine et de maïeutique : « J’essaie d’intégrer des éléments de philosophie de l'esprit à leur formation clinique. Nous nous intéressons, par exemple, aux croyances qui peuvent émerger chez un patient lors d’une consultation et la manière dont elles impactent sa trajectoire médicale ».

Soucieux de rendre accessible la recherche à la société, il organise depuis un an les « Conférences de la Salpêtrière » en collaboration avec Sorbonne Université et l’Institut du Cerveau. Ce cycle de conférences propose au grand public une initiation aux sciences de l’esprit avec des intervenants spécialisés en philosophie, en neurosciences ou en sciences humaines.

Polymathe insatiable, Hugo Bottemanne a réussi, à travers son parcours et ses projets, le pari ambitieux de faire interagir des disciplines complémentaires au service des patients et de la communauté étudiante et scientifique.

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