Un meilleur pronostic de retour à la conscience des patients placés en réanimation
Lorsqu’un patient est admis en réanimation à cause d’un trouble de la conscience — un coma par exemple — établir son pronostic neurologique est une étape cruciale et souvent difficile. Pour réduire l’incertitude qui prélude à la décision médicale, un groupe de cliniciennes-chercheuses et de cliniciens-chercheurs de l’Institut du Cerveau et de l’Hôpital Pitié-Salpêtrière, mené par Lionel Naccache (Sorbonne Université / AP-HP), Jacobo Sitt (Inserm) et Benjamin Rohaut (Sorbonne Université / AP-HP), a évalué l’intérêt d’une approche dite multimodale, qui combine de nombreux indicateurs cliniques, électrophysiologiques, comportementaux, et de neuroimagerie. Leurs résultats, publiés dans la revue Nature Medicine, montrent que cette approche permet de réaliser de meilleurs pronostics.
Après un traumatisme crânien sévère ou un arrêt cardiaque, certains patients et patientes admis en réanimation montrent peu ou pas de réactions à leur environnement et se trouvent parfois incapables de communiquer. C’est ce que l’on appelle un trouble de la conscience (ou DoC, pour Disorder of consciousness) qui regroupe les comas, les états dits végétatifs, ou encore les états qualifiés de « conscience minimale ».
Ce trouble persiste parfois pendant plusieurs jours ou semaines. Il est alors essentiel, pour les équipes soignantes comme pour les proches, d’obtenir des réponses les plus précises possibles sur les capacités de récupération cognitive du patient. Habituellement, un pronostic neurologique est établi à partir de plusieurs indicateurs, dont l’examen des mesures standards de l’anatomie du cerveau (scanner et IRM) et de son fonctionnement (électroencéphalogramme).
« Même avec ces informations en main, il demeure souvent une part d’incertitude dans le pronostic, qui peut impacter les prises de décision médicales. Or, ces patientes et patients sont souvent très fragiles et exposés à de nombreuses complications, ce qui pose à chaque fois la question de l’intensité des soins », explique Benjamin Rohaut (Sorbonne Université / AP-HP), neurologue-réanimateur, chercheur et premier auteur de l’étude.
Par ailleurs, les médecins observent parfois une dissociation entre le comportement de la patiente ou du patient et son activité cérébrale : certains patients et patientes en état végétatif semblent comprendre ce qu’on leur dit, mais sont incapables de le faire savoir aux soignants.
Pour enrichir la description de l’état de conscience de ces patients, l’équipe « PICNIC » co-dirigée par Lionel Naccache à l’Institut du Cerveau, travaille depuis une quinzaine d’années à définir de nouvelles mesures cérébrales et de nouveaux signes d’examen clinique. Progressivement, leur approche a évolué vers la « multi-modalité », c’est-à-dire la combinaison entre le PET scan, des algorithmes d’analyse multivariés de l’EEG, l’IRM fonctionnelle, les potentiels évoqués cognitifs (des réponses électriques à des stimulations sensorielles), et d’autres outils.
Les marqueurs de la conscience passés au crible
Pour évaluer l’intérêt clinique de cette approche, l’équipe a travaillé avec le service de Médecine intensive et réanimation à orientation neurologique de l’Hôpital Pitié-Salpêtrière, à Paris. Menés par Benjamin Rohaut et Charlotte Calligaris (AP-HP) les cliniciennes-chercheuses et cliniciens-chercheurs ont suivi et évalué 349 patientes et patients de réanimation entre 2009 et 2021. À l’issue de chaque évaluation multimodale, ils ont formulé un avis pronostique « bon », « incertain » ou « défavorable ».
Leurs résultats indiquent que les patientes et patients avec un « bon pronostic » (22 % des cas) ont présenté une évolution de leurs capacités cognitives bien plus favorable que les patientes et patients avec un pronostic jugé « incertain » (45,5 % des cas) ou « défavorable » (32,5 % des cas). En particulier, aucun des patientes et patients évalués « défavorables » n’avait retrouvé la conscience après un an. Surtout, cette performance pronostique était corrélée au nombre de modalités utilisées : plus le nombre d’indicateurs utilisés augmentait, plus la précision du pronostic augmentait, et plus la confiance de l’équipe en ses propres évaluations augmentait également.
« Cette étude au long court montre pour la première fois le bénéfice de l’approche multimodale, ce qui constitue une information essentielle pour les services de réanimation du monde entier. Elle permet aussi de valider empiriquement les recommandations récentes des académies européenne et américaine de neurologie », détaille Jacobo Sitt, qui a co-supervisé ce travail avec Lionel Naccache.
Vers une approche neuropronostique standardisée
L’approche multimodale ne constitue pas, toutefois, une baguette magique. Elle permet de fournir la meilleure information possible aux soignants et aux familles dans ces situations imprégnées d’incertitude — ce qui constitue un progrès éthique dans la prise en charge des malades — mais ne garantit pas une prise de décision exempte de biais.
Enfin, se pose la question de l’accès aux outils d’évaluation, qui sont coûteux et nécessitent des expertises spécifiques.
« Nous sommes conscients que l’évaluation multimodale n’est pas accessible à l’ensemble des services de réanimation qui accueillent ces patientes et patients, poursuit Lionel Naccache. Nous proposons ainsi de construire un maillage de collaborations au niveau national et européen. Grâce à l’utilisation d’outils de télémédecine et d’analyse automatisée de l’EEG ou de l’imagerie cérébrale, tous les services de réanimation pourraient disposer d’un premier niveau d’accès à l’évaluation multimodale. Si elle s’avérait insuffisante, un recours à un centre régional expert apporterait une évaluation plus poussée. Enfin, dans les situations les plus complexes, il serait possible de solliciter tous les experts disponibles, où qu’ils soient. Notre objectif est, à terme, que tous les patients et patientes présentant un trouble de la conscience puissent bénéficier des meilleurs standards de pronostic neurologique. »
Cette étude a été financée grâce à la James S. McDonnell Foundation, la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM), l’UNIM, le prix Lamonica de l’Académie des Sciences, l’European Partnership for Personalised Medicine (PerMed) et le programme Investissements d’avenir.
Jacobo Sitt et Lionel Naccache sont co-fondateurs et actionnaires de la société Neurometers, dédiée à l’utilisation médicale de l’électroencéphalogramme (EEG) pour quantifier les signatures cérébrales de la conscience et de la cognition.