Catherine Tourette-Turgis - Crédits : Sorbonne Université
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Catherine Tourette-Turgis reçoit le Prix Ruban Rose

Le 18 octobre 2023, Catherine Tourette-Turgis, professeure titulaire de la chaire compétences et vulnérabilités et fondatrice de l’Université des Patients - Sorbonne Université, a reçu le Prix Ruban Rose en soutien à la recherche sur le cancer du sein. 

Dans cet entretien, Catherine Tourette-Turgis, nous explique les enjeux et les objectifs de son projet de bilan de compétences sensible aux cancers féminins récompensé par l’association Ruban Rose.

Décrivez-nous votre projet de bilan de compétences sensible aux cancers féminins ?

Catherine Tourette-Turgis : Après avoir diplômé plus de 150 femmes ayant un cancer, l’Université des patients - Sorbonne Université a décidé d’aller plus loin et de concevoir un bilan de compétences non seulement sensible au cancer mais aussi à la problématique « femmes, cancer et travail ». Cette innovation consiste à créer, avec des femmes directement concernées, des guides d’entretien sur toutes les composantes qui facilitent ou sont des obstacles au maintien ou à la reprise du travail pendant et après un cancer.

De quels constats êtes-vous partie pour monter ce projet ?

C.T.T. : Le cancer du sein touche une femme sur dix, dont la moitié en âge de travailler. L’arrêt moyen pour un cancer du sein se situe entre 10 et 12 mois et 44 % des femmes concernées par ce cancer estiment que leur maladie a un impact important sur leur carrière.
Par ailleurs, les études montrent que le thème du travail est moins souvent abordé avec les femmes qu’avec les hommes pendant leur cancer. Les employeurs ont tendance à conseiller aux femmes des temps partiels et ces pratiques sont en lien avec la prégnance des stéréotypes de genre présents autant dans le monde du soin que dans celui du travail.

Quel sont, plus précisément, les objectifs du projet ?

C.T.T. : Aborder « cancer et travail » du point de vue des femmes représente une réelle innovation en France. En ajoutant un regard sensible aux besoins spécifiques des femmes confrontées à cette thématique, ce projet permettra de produire des réponses et des solutions concrètes en termes de travail pour les femmes ayant ou ayant eu un cancer. Nous espérons ainsi sensibiliser le monde de l’oncologie et celui du travail à l’approche par le genre.
Par ailleurs, ce projet apportera des éléments de réponse à l’augmentation des pathologies dans le monde du travail (burn-out, harcèlement, suicide). Plus largement, il sera un modèle inspirant permettant à d’autres équipes de recherche, institutions, entreprises de se lancer dans des innovations. Il permettra enfin de combiner les préoccupations d’institutions académiques, en réponse aux recommandations et aux politiques publiques en matière de promotion de l’égalité femmes-hommes.

Comment va-t-il se concrétiser ?

C.T.T. : Il s’agira d’abord de comprendre et d’analyser les besoins spécifiques des femmes sur les champs du cancer, de la qualité de vie et de l’orientation professionnelle. En explorant cette thématique par le biais d’une littérature fondée sur les preuves, nous aurons une compréhension plus fine des difficultés, des besoins spécifiques des femmes, des dilemmes moraux, des ajustements des femmes dans leur relation au travail, pendant et après un cancer, et l’impact de toutes ces données sur leur qualité de vie.

Dans un deuxième temps, nous produirons un ensemble de recommandations, fiches pratiques, scripts d’entretien, etc. destinés aux équipes d’oncologie et aux conseillers en bilans de compétences afin qu’ils accompagnent les femmes dans leur retour au travail. Nous nous assurerons que ce kit de bilan répond bien aux besoins de femmes et améliore leur qualité de vie en le testant en situation réelle auprès de 50 femmes recrutées au niveau national.
Enfin, nous sensibiliserons et aiderons les services d’oncologie à savoir quand et comment aborder la question du travail avec leurs patientes. Nous travaillerons également avec les acteurs du champ de l’orientation professionnelle sur l’impact du cancer sur les trajectoires professionnelles et les particularités des parcours féminins.

Les résultats de nos travaux seront transférables, au moins en termes de sensibilisation, aux autres maladies dont le potentiel de rétablissement nécessite des programmes d’accompagnement du retour au travail.
 
Sur quelles expériences vous basez-vous pour mettre en place ce projet ?
 

C.T.T. : Nous nous appuierons sur la large expérience de l’Université des Patients - Sorbonne Université. Les années de diplomation de malades du cancer – dont 90% étaient des femmes, nous ont permis de constater qu’après un effondrement de trajectoire professionnelle à cause du cancer, des femmes pouvaient réparer leur estime de soi professionnelle, se réorienter et se relancer dans de nouveaux métiers.

Par ailleurs, grâce à nos quatre années d’expérience avec les antennes « Cancer et Travail » au sein d’un grand groupe français, nous avons identifié les besoins des personnes à chaque phase du cancer qui relevaient de l’engagement sociétal des entreprises : aménagements nécessaires, maintien du sentiment d’appartenance, coordination des informations médicales et professionnelles, besoin d’anticipation, besoin de gestion des émotions, besoin de se sentir utile…

Enfin, dans le service d’oncologie médicale de l’hôpital Tenon avec le Pr Joseph Gligorov, puis dans le service de la Pr Catherine Uzan à La Pitié-Salpêtrière, nous avons conçu et mis en place avec une équipe et deux associations les « cafés du rétablissement » à destination des femmes à la fin de la phase intensive de leur traitement. À la demande des participantes, nous avons abordé pendant quatre à six mois des thèmes comme la réaction de l’entourage, le retour au travail, l’annonce du cancer, l’entretien d’embauche, l’activité physique, le sommeil, etc. Nous avons également plusieurs projets en cours avec le service d'oncologie médicale dirigé par le Pr Jean-Philippe Spano à la Pitié.
Toutes ces démarches innovantes nous ont aidées à construire le projet de bilan de compétences aujourd’hui, récompensé par le prix Ruban Rose.
 
Qui pourra en bénéficier ?

C.T.T. : Toute femme ayant besoin, au cours de son parcours de soins en oncologie, de faire le point sur sa situation professionnelle : des femmes désirant reprendre le même emploi, reprendre ou aménager leur temps et espace de travail, changer d’orientation professionnelle, retarder leur date de reprise du travail, mieux gérer les séquelles du cancer et de ses traitements, mieux comprendre leur ambivalence par rapport au sens donné à leur travail, bénéficier d’un statut RQTH, etc.